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" " Si nous imposons silence à nos sens, dit Bossuet, et que nous nous renfermions pour un peu de temps au fond de notre âme, c'est-à-dire dans cette partie où la vérité se fait entendre, nous y verrons quelque mage de la Trinité que nous adorons. La pensée, que nous sentons naître comme le germe de noter esprit, comme le fils de noter intelligence, nous donne quelque idée du fils de Dieu conçu éternellement dans l'intelligence du père céleste. C'est pourquoi ce fils de Dieu prend le nom de Verbe, afin que nous entendions qu'il naît dans le sein du père, non comme naissent les corps, mais comme naît dans noter âme cette parole intérieure que nous y sentons, quand nous contemplons la vérité. Mais la fécondité de notre esprit ne se termine pas à notre parole intérieure, à cette pensée intellectuelle, à cette image de la vérité qui se forme en nous. Nous aimons cette parole intérieure, et l'esprit où elle naît; et, en l'aimant, nous sentons en nous quelque chose qui ne nous est pas moins précieux que notre esprit et notre pensée, qui est le fruit de l'un et de l'autre, qui les unit, qui s'unit à eux, et ne fait avec eux qu'une même vie. Ainsi, autant qu'il peut se trouver de rapport entre Dieu et l'homme; ainsi, dis-je, se produit en Dieu l'amour éternel qui sort du Père qui pense, et du Fils qui est sa pensée, pour faire avec lui et sa pensée, une même nature également heureuse et parfaite." Voilà un beau commentaire, à propos d'un seul mot de la Genèse : " Faisons l'homme. " "(1) Et voilà pourquoi la dialectique est en trois temps, qui rythment les travaux de Hegel, et la pensée de tout homme en train de se faire homme. Entendons bien, non pas parce que Hegel était chrétien, mais selon la nature des choses; Dieu même n'a pas le choix. " Ne pas prouver que le christianisme est excellent parce qu'il vient de Dieu; mais qu'il vient de Dieu parce qu'il est excellent " écrit ailleurs Chateaubriand. Et Socrate de demander au prêtre si le pieux est pieux parce qu'il plaît aux dieux, ou s'il plaît aux dieux parce qu'il est pieux. Et le prêtre était bien embarrassé. La dialectique, donc; en trois temps, car il faut, pour faire un homme, penser d'abord, puis penser que l'on pense, et enfin estimer la nécessité où l'on est de penser comme on pense, c'est-à-dire rapporter sa pensée jusqu'à la raison, en passant par l'entendement; remettre l'homme à sa place, au regard de l'Absolu, c'est-à-dire mettre au jour l'Absolu qui est en lui. Alors seulement ce qu'il pense est vrai. Tant qu'on s'en tient il n'y a que certitude, non élucidée, préjugé. Quand on justifie ce qu'on pense, il n'y a que les raisons de l'entendement, froid raisonneur, opposant les arguments les uns aux autres. Père de la pensée, cependant, reconnaissant son fils alors. Vient ensuite la raison, qui éclaire l'entendement, lui fait prendre conscience de lui-même et de son insuffisance, l'élève à la nécessité, au rang de l'Universel, non pas par une raison supplémentaire, ou un ultime argument, mais en l'élevant à elle, à sa véritable place. Le premier croit, le deuxième subsume le premier, le troisième sursume le second. Le prêtre dit " Sursum Corda ", élevez vos cœurs; Hegel dit " Sursum Mentes ", élevez vos esprits. C'est à juste titre que certains, et qui possèdent leur Hegel sur le bout du doigt, y voient une mécanique: un, deux, trois; le Père, le Fils, le Saint Esprit. (Amen, pensent-ils.) Toujours et encore, le même mouvement répété. A juste titre, seulement parce qu'ils ne le comprennent pas. Le mouvement peut se contempler de l'extérieur, mais lorsqu'il n'élève pas, il ennuie. On peut savoir poser l'identité d'abord, la différence ensuite, l'identité de l'identité et de la différence enfin; et quelque soit le sujet. Mais si l'on ne fait là que répéter les propos sont morts. Et le penseur s'ennuie de ne pas penser. A juste titre; l'exigence de pensée est là. Mais il est injuste d'en rejeter l'absence sur l'auteur. Le lecteur doit cesser de lire pour penser. Le fidèle ne doit pas attendre l'élévation de l'effectuation réglementaire du rituel, extérieur; il ne peut compter que sur lui même, sa propre pensée, que tout rituel endors. La pensée a ceci de propre qu'on ne saurait l'élever de l'extérieur sans la tuer. C'est pourquoi Hegel était protestant; ses lecteurs sont restés catholiques.
Robert Victor. (1) Bossuet, Histoire Universelle, seconde partie, cité par Chateaubriand, Génie du Christianisme, I, " de la Trinité".
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